La Fondation Friedrich Ebert (FES) a annoncé il y a quelques jours la fermeture définitive de son bureau à Madagascar. La représentante résidente Marjam Mayer nous livre son ressenti par rapport à cette décision du conseil d’administration de la fondation et dresse un bilan de la présence de la FES dans le pays. Interview.
Sioka : C’est donc la fin de la FES Madagascar …
Marjam Mayer : Oui. Nous allons fermer au mois d’aout. La FES a à peu près une centaine de bureaux dans le monde et neuf vont être fermés dont celui de Madagascar. C’était décidé vers la fin de l’année dernière par le conseil d’administration de la FES. A part Madagascar, il y a les bureaux du Rwanda, de la Libye, du Soudan mais aussi du Panama, de la République Dominicaine ou encore du Kirghizstan. Cette décision a été prise à cause de la situation financière préoccupante de la fondation qui résulte d’une baisse continue du financement public.
Mais comment se finance justement la FES ?
Le financement de la fondation est basé sur deux piliers. Il y a les fonds alloués au secteur de la coopération au développement et il y a les fonds liés aux résultats électoraux du parti social-démocrate (SPD). Ces deux sources de financement ont baissé de manière continue ces dernières années. Il faut savoir qu’historiquement, le réseau mondial de la FES s’est développé à une époque où le parti social-démocrate avait encore des résultats entre 30 et 40%. Les résultats ont baissé ces dernières années. Ce dimanche encore, le SPD a eu 16% des voix aux législatives.
Il y a eu une période où la FES a suspendu ses activités à Madagascar. Un retour est-il envisageable ?
La rupture qu’on a eue, c’était entre 1975 et 1988. Les raisons de la suspension étaient politiques. Là, les raisons sont d’ordre budgétaire. C’est une tout autre situation et les contraintes de la fondation ne vont pas changer dans les années à venir. La décision du conseil d’administration n’a pas été prise à la légère. C’est vraiment définitif.
L’extrême droite gagne du terrain en Europe. Le lien est-il évident entre cette tendance et la situation actuelle de la FES ?
Depuis quelques années, les discours nationaux autour de la coopération au développement mettent de plus en plus en question le financement de la coopération au développement par des fonds publics. L’extrême droite qui gagne en puissance en Europe porte notamment ce discours. Nous avons aussi vu l’exemple de l’USAID qui a dû geler ses activités il y a trois semaines. La fermeture de la FES Madagascar s’inscrit dans ces grands bouleversements au niveau international.
Pouvez-vous rappeler la mission de la FES à Madagascar ?
Dans le monde entier, nous visons à renforcer la démocratie selon nos valeurs qui sont la paix, la justice sociale et la solidarité. Nous voulons vraiment promouvoir l’orientation de l’action politique en faveur du bien commun, renforcer les institutions démocratiques et leur légitimité et aussi inclure les groupes sociaux concernés dans la prise des décisions politiques. Notre programme le plus connu est le Youth Leadership Training Program (YLTP). Nous nous intéressons aussi à la gouvernance des affaires publiques et nous essayons de créer des plateformes de dialogue sur des questions importantes pour le pays. Nous travaillons beaucoup sur le changement climatique. Il s’agit d’ajouter une expertise politique dans ce sens, nous appuyons le dialogue entre les acteurs nationaux et internationaux dans la lutte contre la crise climatique. Notre travail auprès des syndicats est aussi très ancré dans notre ADN. Nous essayons de travailler avec les syndicats pour les renforcer dans leur fonctionnement interne, renforcer les capacités de leurs membres. Récemment Nous avons travaillé sur le dialogue social dans le processus d’une transition socio-écologique.
Quel bilan tirez-vous des années de présence de la FES à Madagascar ?
D’un point de vue quantitatif, Nous avons formé à peu près 500 jeunes leaders yltipiens et des milliers de jeunes, de syndicalistes, de journalistes et d’activistes dans divers programmes. Nous en avons en tout une dizaine. Nous avons publié 37 numéros de Politikà, notre magazine politique qui essaie d’animer le discours politique critique, objectif et analytique. Mais au-delà des chiffres, ce qui compte c’est le fait que nous avons renforcé la capacité des bénéficiaires à contribuer activement au développement de Madagascar. Nous avons toujours facilité le dialogue démocratique entre les acteurs. Récemment nous avons par exemple développé une charte de bonne conduite des partis politiques. Nous avons aussi accompagné plusieurs propositions de loi au sein du Parlement et nous avons toujours travaillé pour assurer un espace pour des discussions démocratiques libres, pour faciliter un échange entre les différents acteurs qui ont leur place et leur devoir dans une démocratie. Nous avons essayé d’être une plateforme pour faire entendre la voix de la société civile. Même si c’est difficile à mesurer, c’est l’aspect le plus important de notre travail.
Dans ce sens, comprenez-vous qu’on se pose justement des questions sur l’impact de la FES à Madagascar ?
Je comprends cette réflexion. Avant de travailler pour la fondation, j’étais dans la coopération technique au développement. Là c’est simple. On a un objectif technique. Il y a des démarches très prévisibles qu’on doit entreprendre pour atteindre l’objectif. On peut donc quantifier. Dans la politique, il est vraiment très difficile de mesurer l’impact. Mais pour moi ce n’est pas une raison de dire que « parce qu’on ne peut pas mesurer, ça n’a pas de sens ». Il y aurait beaucoup d’éléments qui nous échapperaient si on argumentait seulement de cette manière.
Est-ce la fin des programmes de la FES à Madagascar ou d’autres entités peuvent prendre le relais ?
Oui et non. Bien sûr, Nous essayons de donner les outils à nos partenaires avec qui nous avons travaillé depuis des années. Nous essayerons de renforcer leurs capacités afin qu’ils puissent continuer le travail. Par exemple avec la charte de bonne conduite, nous essayerons de pousser les partenaires à aller jusqu’au bout même sans nous. Mais après, il y a d’autres cas où nous avons décidé que le relais est juste impossible. Cela concerne les marques qui sont très FES, très basées sur nos valeurs et c’est assez logique. On ne pourrait pas s’assurer que le format et les valeurs seraient les mêmes.
Y aura-t-il une ultime promotion du YLTP ?
Nous avons décidé que ce n’est pas raisonnable de réaliser un programme qui prend normalement neuf mois en seulement quatre cinq mois parce que nous arrêterons nos activités au plus tard au mois de juin. Il y a du développement personnel dans le YLTP et cela prend du temps.
Vous venez d’arriver il y a moins d’un an. Vous avez effectué un stage à la FES Madagascar auparavant. Comment vivez-vous personnellement la fermeture du bureau ?
Cela fait vraiment mal au cœur d’un coup avoir le devoir de fermer un bureau dont on soutient plus qu’à 100% le travail, les objectifs et tout … de devoir vivre cette expérience. Et surtout j’avais beaucoup de très beaux projets pour notre travail. J’aurais bien aimé apporter également ma touche notamment sur le front de l’égalité de genre. A tous les niveaux, c’est dommage qu’on ait arrêté là. Cela va également raccourcir mon séjour à Madagascar, cela m’attriste personnellement parce que j’aime vraiment vivre ici.
Propos recueillis par Valisoa Antsa et Tolotra Andrianalizah