La nouvelle vague de protectionnisme américain, menée par Donald Trump, bouleverse les équilibres du commerce international. Madagascar, pays importateur et fragile, se prépare à contrer les effets indirects de ce bouleversement. Barthélémy, le directeur de l’Autorité Nationale chargée des Mesures de Correction Commerciale (ANMCC) nous éclaire sur les enjeux pour le pays et les moyens de défense disponibles. Interview.

Sioka : Avec les décisions que Donald Trump a prises au moment de son retour à la Maison Blanche, beaucoup parlent d’une redéfinition du commerce international. Quel est votre avis ?

Barthélémy : C’est vrai, ce que vous dites, avec la hausse des droits de douane aux États-Unis. Il ne s’agit pas d’une hausse anodine, mais d’une hausse importante. Oui, on peut parler d’une redéfinition du commerce international, car cette décision des États-Unis provoque une perturbation dans les échanges commerciaux mondiaux, étant donné la place prépondérante de ce pays dans le commerce international. Ce type de décision a donc un impact sur tous les pays qui commercent avec lui. Madagascar en fait partie.

Cette situation est-elle une première dans l’histoire ?

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà pris des décisions de ce genre, notamment en direction de la Chine, en augmentant les droits de douane sur l’acier et l’aluminium. L’objectif affiché à l’époque était la protection des industries américaines, la Chine étant considérée comme le principal concurrent, car ses produits sont massivement présents sur le marché américain. Pour protéger les entreprises implantées sur le sol américain, et surtout les emplois que Trump considère comme menacés, il avait décidé cette hausse. Ce qui se passe aujourd’hui est similaire dans l’intention, mais très différent dans l’intensité. Pour ce second mandat, c’est assez particulier, car les tarifs mis en place sont très élevés, et concernent tous les pays et quasiment tous les produits.

Vous parlez de la protection des entreprises locales. Vous êtes à la tête de l’ANMCC, dont la mission est justement de protéger l’industrie locale. Comment trouver l’équilibre entre cette volonté de protection et le bon fonctionnement du commerce international ?

Avant de répondre, je me permets de rappeler un dicton de l’économiste Galbraith : « Le commerce est une guerre entre vingt mille navires. » Cela signifie que le commerce est une forme de guerre entre les pays du monde entier. Il y a des gagnants et des perdants. Et les perdants peuvent littéralement disparaître du commerce international.

La décision du président américain est une déclaration de guerre au reste du monde, sur le front commercial. À Madagascar, nous ne pouvons pas nous soustraire à cette réalité. Nous devons l’affronter. Chaque pays met aujourd’hui en place de nouvelles stratégies pour faire face à cette décision de l’administration Trump. Et ces stratégies ne concernent pas uniquement cette période, mais visent aussi à réduire la vulnérabilité face à d’autres décisions du même type. Même l’Organisation mondiale du commerce (OMC) estime que cette décision américaine risque de ralentir les échanges commerciaux, notamment entre la Chine et les États-Unis. L’OMC parle d’une baisse pouvant aller jusqu’à 80 % si rien ne change.

En ce qui concerne Madagascar, nous considérons la situation actuelle comme une circonstance imprévue. La première conséquence, c’est que lorsque les opportunités de marché se réduisent, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis, des pays comme la Chine augmenteront leurs exportations vers les marchés qui restent ouverts, comme Madagascar. Cela signifie que des marchandises qui ne peuvent plus être vendues ailleurs seront redirigées vers chez nous. Cela accroît le risque pour les entreprises locales qui proposent les mêmes produits. Face à cela, l’ANMCC se prépare à assister les industries qui pourraient être menacées par un afflux d’importations. Nous surveillons de près l’évolution des données pour pouvoir réagir à temps, le cas échéant.

Pouvez-vous nous rappeler l’arsenal dont dispose l’ANMCC pour faire face à ce type de situation ?

L’ANMCC utilise les instruments de défense commerciale mis à la disposition des pays membres de l’OMC. Nous avons trois outils principaux : les mesures de sauvegarde, les mesures anti-dumping et les mesures compensatoires (contre les subventions). Ces outils sont suffisants pour protéger les entreprises locales. L’ANMCC peut traiter les plaintes des industries qui se sentent menacées, mais elle peut également s’autosaisir, c’est-à-dire ouvrir une enquête même en l’absence de plainte formelle.

L’OMC est aujourd’hui pointée du doigt pour son impuissance face à la situation. Quel est son poids réel lorsqu’un géant du commerce comme les États-Unis prend des décisions de cette ampleur ?

L’OMC est une organisation mondiale comme une autre, et les États-Unis en sont membres. À ce stade, il n’est pas question d’un retrait américain de l’organisation. D’ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, les États-Unis ont notifié à l’OMC des changements dans leurs lois anti-dumping, ce qui est une obligation prévue par les règles de l’OMC. Cela prouve qu’ils s’y soumettent toujours.

Face à la situation actuelle, l’OMC poursuit ses efforts pour favoriser un rapprochement entre les membres. Car les négociations constituent la base de fonctionnement de l’organisation, avec pour objectif d’améliorer les échanges commerciaux entre les pays membres. L’OMC ne se concentre pas uniquement sur les États-Unis. Elle travaille également avec les autres membres, car cette déclaration de guerre commerciale pourrait avoir un effet domino. Elle pourrait perturber les échanges entre d’autres pays, y compris ceux qui ne sont pas directement ciblés.

Il est donc faux de dire que l’OMC reste les bras croisés. Elle agit, et on peut d’ailleurs déjà percevoir certains effets, à travers les concessions que commencent à faire les États-Unis malgré tout. Il faut aussi rappeler que cette décision américaine ne s’inscrit pas dans le cadre des accords de l’OMC. C’est une décision unilatérale, d’où l’expression « déclaration de guerre commerciale ». Mais pour qu’il y ait véritablement une guerre commerciale, il faudrait qu’il y ait des mesures de rétorsion en retour. Pour le moment, il s’agit donc d’une déclaration, car les autres pays privilégient encore la voie des négociations, dans l’espoir que chaque partie y trouve son compte.

Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah