La tension actuelle entre le président du Sénat et l’Ordre des journalistes met en lumière la situation du journalisme à Madagascar qui fait face des pressions multiples et insidieuses. Les intimidations, l’autocensure et la précarité du métier dessinent un paysage où la liberté de presse s’érode le plus souvent en silence.
Sale temps pour la presse malgache. En moins d’une semaine, l’Ordre des Journalistes de Madagascar a dû sortir deux communiqués pour dénoncer les pressions subies par les professionnels du métier. Le premier alerte sur des cas d’intimidation visant des journalistes à Toliara et Antananarivo. Le second fait suite à l’échange entre Richard Ravalomanana, président du Sénat, et un journaliste qui l’interrogeait sur l’éventualité de l’ouverture d’une enquête parlementaire sur l’affaire des cinq Boeing immatriculés à Madagascar et envoyés en Iran.
Le ton utilisé par le président du Sénat lors de cet échange, qualifié de « condescendant » par l’OJM, avait fait réagir. Mais c’est surtout la réplique institutionnelle, sous forme de pamphlet de trois pages publiées sur la page officielle du Sénat, qui a mis le feu aux poudres. Après avoir pointé du doigt la non-maitrise du sujet par le journaliste, le document accuse les médias d’opposition de jouer les pyromanes médiatiques et pousse l’attaque jusqu’à mettre en doute l’intégrité personnelle du journaliste à l’origine de la question, laissant entendre qu’il aurait réclamé une enveloppe après l’interview. Des accusations largement commentées par plusieurs figures du journalisme malgache. Ironie du sort : le journaliste visé travaille pour un média réputé proche du pouvoir.
Insidieux
Ce brouhaha médiatique n’est que la face émergée d’un système de pressions devenu permanent, assurent plusieurs professionnels. Dans les couloirs des rédactions, beaucoup témoignent d’un climat étouffant entre rappels à l’ordre discrets voire demandes de retrait d’articles entrainant une autocensure croissante dans le métier. « Il m’arrive qu’on m’appelle pour retoucher, voire retirer un article sur notre site. C’est frustrant, confie le responsable d’un média en ligne. Même si tout est vérifié, dès que ça gêne, il faut arrêter ». Dans un autre desk, une journaliste a été sermonnée après avoir publié un article « trop dérangeant », malgré que les règles du métier aient été scrupuleusement respectées.
Le dernier classement mondial publié par Reporters sans Frontières confirme cette dégradation silencieuse. Madagascar chute de 13 places, passant de la 100e à la 113e position. Sur l’indicateur politique, qui mesure le degré de soutien des autorités à la liberté des médias, la Grande île passe d’un score déjà faible de 41,91 à 37,99. Le rapport de RSF souligne également la précarité de la presse malgache. Cette situation fragilise l’indépendance des journalistes, les rendant plus vulnérables aux pressions.
Tolotra Andrianalizah